On
me demande souvent d'expliquer ma démarche, mais je pense qu'une
démarche n'est pas quelque chose de figé. En tout cas, pour moi,
elle est mouvante et ne précède généralement pas la création.
Pourtant, force est de constater qu'il y a bien une cohérence dans
mon travail, qui s'explique par mon besoin de faire précéder
la
manipulation de la matière sur le propos. Je suis constamment à la
recherche de la matière la plus adéquate pour une pièce. Si elle
m'impose des limites, elle m'accorde aussi la liberté de les
dépasser. Je parlerais donc plutôt de recherche empirique et
d'expérimentation. Il
s'agit de procéder à une récolte, une collecte de volumes, de
matériaux, de sons, d'impressions afin de construire un univers,
pièce par pièce, espace par espace, en résonance: mon cabinet
de
curiosité.
Il
n'y a donc pas de volonté première de ma part d'une recherche
d'effet, mais l'installation d'une pièce dans l'espace choisi doit
amener l'observateur à un constat ou une interrogation sur sa
signification. Cet espace en change profondément le sens. C'est
pourquoi l'endroit dans lequel je crée est
extrêmement important
puisqu'il infuse mon travail, et réciproquement.
Que
ce soit dans l'espace d'un corps, d'une feuille, d'un lieu, ma
recherche est celle du volume ou de sa mise en scène. Tout support
peut être sculpté, y compris, donc, l'espace.
Often i am asked
to explain my approach, but I think it is not something static. In
every case, for me, it's a moving process that often does not precede
the artistic creation. Yet there is still an undeniable consistency in
my work, it comes from my need to manipulate the matter before the
dessein. I am in constant research of the most suitable matter for an
art piece. If the substance imposes it's limits to me, it also gives me
the freedom to overrun them. I would rather speak of empirical research
and of experimentation. It's about harvesting volumes, materials,
sounds and impressions to build a universe, piece by piece, space by
space, in an echo: my curiosity cabinet.
There is no first
will of a search of impression, but the installation of a piece in a
chosen space has to bring the observer to a realization or an
interrogation on it's significance. This space changes deeply it's
meaning. This is why the space I work in is very important to me
because it infuses my work and vice versa. My research is the one of
volume or of it's staging, whatever it is, from a body to a sheet, or
even a place. Anything can be sculpted space included.
Marthe
Le Basque
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Le
travail de Marthe Le Basque interroge la notion de filiation.
La
récurrence du motif de la chaîne, les créatures anthropomorphes, les
"boutures" d'espèces différentes, tout revient de près ou de loin à ce
thème.
Elle
invente des fictions de la réalité (membres fictifs,
chimères, monstres, grossissements anatomiques, super-anti-héros...)
qui se basent principalement sur le morcellement
et donc l'absence.
C'est
une version fantasmée, une image, du corps qu'elle ampute et suture,
greffe et multiplie. Mais ce n'est qu'un élément qui est ainsi
revisité, jamais le corps entier, à l'exception du
corps
ridicule et dispropotionné d'un nain de jardin. Le grotesque, dans ce
que ce mot implique d'humour, voire le burlesque me semblent
des
univers dans lesquels pourraient évoluer ses sculptures. Un monde où
les nains et les boursouflures ne sont pas incongrus, où il
pousse des
petites mains aux arbres en place de feuilles, où les anémones de mer
caressent l'envers de la surface de l'eau, où Elvis est
toujours vivant
et où les régles de grammaire font la ronde, où les humains
sont de
simples trophées de chasse, où des éléments corporels disparates sont
tout à coup amis. Un monde merveilleusement bizarre,
à la Lewis Caroll.
Elle
semble chercher le gène "déficient" à l'origine de ces merveilles (dans
son sens premier de choses étonnantes, de phénomènes inexplicables, de
miracles, de prodiges), le chaînon manquant de la filiation
des êtres
et des objets.
L'étrange
ou le corps étranger se dissimule, dans son
travail, sous des apprêts discrets, élégants, épurés ou sous le masque
de l'humour.
Marthe
Le Basque porte sur le monde tel que nous le connaissons un regard
amusé et désabusé à la fois, ne voyant dans notre frénésie de
consommation qu'une progressive perte de cohérence,
de lien,
d'histoire, de filiation. Cette tension récurrente vers un idéal,
ces questions que l'artiste pose sur l'absence, la recherche
de
l'unique dans le multiple et la série représentent ses
interrogations sur la société actuelle.
Quelle place pour
l'humain quand ce que l'on nous donne à voir le plus souvent se
résume à une illusion, un fantasme de perfection ?
Que reste-il
d'une enfance rêvée sinon quelques poupons désarticulés, des
héros nanifiés et des personnages de contes ridiculisés, utilisés
à des fins de simple décoration ?
Comment exister sans être un
trophée sur les murs des nouveaux temples ?
texte
de Myriam STORA, 2011
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